Paris libéré mais Paris contourné ?

Paris est-il encore attractif ? Au cours des tables rondes menées avec les acteur.rice.s des scènes jazz de Toulouse et de Nantes (à lire ici), il émerge que si Paris conserve une force d’attraction, s’établir en ses murs ne représente plus une nécessité. On pourrait même consider cet attrait comme un mythe.

Dans un pays centralisé en diable, malgré deux tentatives gouvernementales d’ampleur, la capitale ne semble plus agir comme un aimant. Tant pis pour Akhenaton, nos régions ont plus que du talent. Pour parfaire ce contrepoint parisien aux paroles prises en région, nous avons recueilli le point de vue de deux musicien·ne·s. L’une est à Rennes, lauréate 2021 Jazz Migration, l’autre est un ex-parisien revenu expérimenter activement sur les terres nivernaises. L’une aime la couleur ROUGE, l’autre est définitivement multicolore. Madeleine Cazenave et Benjamin Flament se baladent entre Paris et campagne. À la question de pouvoir noter une différence clairement identifiable dans leurs expériences à Paris et en région, chacun·ne place d’abord la densité du territoire. Madeleine Cazenave : « je n’ai pas vu de différence majeure hormis le fait que le réseau de musiciens et de lieux est beaucoup plus un important, surtout en jazz, par rapport à Rennes, par exemple, là où je vis. » Paris est l’endroit où il se passe énormément de choses, Paris est l’endroit des réseaux tissés serré. En sortant du CNSM, aux côtés de Julien Desprez, Yann Joussein, Antoine Viard, Simon Henocq et Aymeric Avice, Benjamin Flament monte COAX : « se structurer en collectif nous a permis d’ouvrir des portes, de commencer à tisser des liens avec Banlieues Bleues, à développer des partenariats avec des salles. »

Phare brillant de mille appels, le Conservatoire National Supérieur de Musique (CNSM) attire lui aussi. S’y forme-t-on absolument ? Benjamin Flament l’assure : « Pas du tout, il y a plein d’exemples de musiciens qui ne l’ont pas fait et qui sont reconnus. Les conservatoires, ce sont surtout des lieux de rencontres. Quand j’étais élève au CNSM, j’ai pu y travailler à plein temps et donner aussi quelques heures de cours. À un moment, je me mettais à jouer beaucoup, je n’arrivais plus à faire les deux et j’ai arrêté. C’est quelque chose qui m’anime, je monte donc des projets pédagogiques ou des actions culturelles, chaque année ». Madeleine Cazenave complète : « Je ne l’ai pas fait. J’imagine que c’est bien de faire le CNSM mais pour moi il n’y a rien d’obligatoire ».

« Dans la Nièvre, il y a peu de musiciens de notre répertoire mais je fais des rencontres régulièrement. Un réseau de musiciens, tu le développes petit à petit, parce que tu veux jouer avec untel sans te demander où il habite. »

Hors la qualité indéniable d’enseignement, les bancs du Cons’ offrent surtout leur pesant de liens à créer, pour ensuite alimenter les réseaux locaux puis très vite nationaux. « C’est un mythe que tout se passe à Paris. On a l’impression, surtout quand on est Parisien, que tout se passe à Paris mais ce n’est pas le cas », poursuit Madeleine. « Je pense que c’est aussi parce que je vis en région. Je n’ai pas ressenti ça dans les lieux où j’ai joué. On a souvent un meilleur accueil en région. C’est une généralité mais à Paris, tu dois louer ta salle pour jouer, t’as des conditions parfois un peu galère aussi ». Dans les échanges avec Toulouse, Matthieu Cardon soulignait cette similitude. La galère d’une mauvaise date reste la même, vécue à Paris ou en Région. Mais les bonnes dates ? Paris conserve encore son rôle de catalyseur d’écho. Madeleine retrace brièvement ainsi l’expérience récente de son trio ROUGE : « Jazz Migration, ç’a été super bénéfique pour le projet. On a beaucoup tourné avec Jazz Migration, 15 ou 20 dates. Jazz à La Villette, Le Parc Floral, Jazz à la Défense ce sont des trucs importants. Typiquement, Jazz à La Villette et Le Parc Floral, ce sont des grosses jauges. Ce qui était pas mal, c’est qu’on faisait beaucoup de premières parties et je trouve ça top parce qu’on est pas encore connus mais les gens viennent voir. Et puis, il y a eu un enchaînement, il y a eu le label Laborie Jazz qui a sorti notre disque et qui va produire le prochain qu’on enregistre en juin, on a trouvé un tourneur, Anteprima. Avec ROUGE, on a fait pas mal de dates à Paris cette année, c’est vrai. Après on ne joue pas du tout en Bretagne et notamment vers Rennes où il ne se passe pas grand- chose pour le jazz. Il y a Jazz à l’Ouest, où on a joué, et Jazz à l’Étage où je ne jouerai pas. Je trouve que ça manque un peu. Nantes, c’est un peu plus dynamique ».

« En région parisienne, il y a plus d’opportunités pour jouer, mais il y a aussi une très forte concurrence. Des musiciens ont choisi de se baser dans une autre région pour pouvoir s’épanouir peut-être plus vite. »

Centrale média.

Autre vérité encore indéboulonnable, la présence média centralisée à Paris. Est-ce un avantage, toucher le plus de monde d’une seule visite, ou un inconvénient, faire la route pour concerner la presse ? Benjamin Flament modère : « C’est certain que Paris concentre un peu tout. Pour les sorties de disques, c’est beaucoup plus facile quand tu es à Paris même si c’est compliqué de faire venir la presse vu le nombre de concerts. En Bourgogne, pas mal de magazines se sont développés ces derniers temps mais ils restent des magazines de niche, malheureusement. Après, pour que ça se développe, il faut des journalistes et des rédacteurs qui s’implantent en région, mais ça on le voit plutôt dans les grandes villes comme Lyon. » Ces grandes villes continuent de s’étendre. Malgré le nouvel exode rural inversé qui devient conséquent ces dernières années. Exode, dont les musicien·ne·s interrogé·e·s ont pris leur part. Benjamin Flament est redescendu profiter des terres nivernaises : « Je suis revenu en région pour des raisons personnelles et parce que j’avais des projets qui rayonnaient déjà un petit peu. Dans la Nièvre, il y a peu de musiciens de notre répertoire mais je fais des rencontres régulièrement. Un réseau de musiciens, tu le développes petit à petit, parce que tu veux jouer avec untel sans te demander où il habite. Je préfère totalement ma vie en région. Le projet que je développe, le lieu de résidence, va me permettre de faire venir des gens et d’organiser des choses sur le territoire, proche de l’esprit avec lequel on a monté le collectif Coax. » Refaire Paris en région. Non, plus finement, remettre quelques-unes de ses préoccupations au cœur du temps qu’il convient de prendre pour vivre bien. Madeleine Cazenave reste ferme, « Cette année j’ai dû beaucoup aller à Paris et en fait j’adore l’équilibre qu’il y a avec le fait de vivre à la campagne. Quand on part en tournée, on est beaucoup en ville, on prend des transports… ça me va d’avoir ma vie un peu à l’écart et puis de partir en tournée, c’est foisonnant, et je reviens chez moi et c’est posé ».

Paris local club

La région parisienne, aussi grande et puissante soit-elle, conserve-t-elle un peu de ce qu’on peut communément appeler « une scène locale » ? Tour d’horizon avec Xavier Lemettre, directeur du festival Banlieues Bleues et de la Dynamo à Pantin, en Seine-Saint-Denis.

 

La question lui ferait presque des nœuds au cerveau. C’est quoi la définition d’une scène locale, au juste ? « Ce qui est local, c’est ce qui est dans un certain rayon. Moi je raisonne plutôt ‘Île-de-France’ que ‘scène locale de Pantin’. Ici, le côté local est quand même assez large, c’est le bassin de population le plus important en France », embraye Xavier Lemettre, au téléphone. Une majorité de la nouvelle scène jazz et des musicien·ne·s émergent·e·s est installée ici, plus précisément dans ce quart nord-est où les loyers sont plus modérés qu’autre part en Île-de-France. C’est aussi ici qu’est implantée depuis 2006 la Dynamo, équipement culturel piloté par l’association Banlieues Bleues, en plein cœur du quartier des Quatre-Chemins, à Pantin. Pas étonnant donc d’y croiser ces nouvelles formations en résidence, en train de fabriquer, expérimenter et créer leurs projets artistiques. Proximité géographique d’abord et effet d’aspiration ensuite, avec le festival Banlieues Bleues qui rayonne au régional, au national et à l’international. « Du coup, logiquement, le local peut trouver des débouchés aux niveaux national et international », poursuit le directeur. « Mais parfois, ce n’est pas en local que les choses ont commencé. Je me souviens d’Eve Risser quand elle était encore en résidence et une artiste émergente, il y a environ 8-10 ans, elle a monté son gros projet, le White Desert Orchestra, et elle a commencé à avoir vraiment une reconnaissance d’abord en Europe, dans d’autres festivals, mais pas ici. » Rien de mathématique, donc, mais quelques leviers qui peuvent ouvrir des portes et des boutons « push push » non négligeables lorsqu’on se frotte aux différent·e·s acteur·rice·s et outils d’un territoire géographique. Attention cependant à ne pas trop enfermer ce concept de territoire, selon Xavier Lemettre. « Encore une fois, l’Île-de-France est à part : c’est ici qu’il y a le plus d’équipes et les aides publiques sont orientées d’abord ici ». Loyers presque abordables, soutiens à la création, lieux de diffusion en cascade…

On pourrait presque croire que la scène francilienne est une cible prioritaire pour les musicien·ne·s émergent·e·s français·e·s, mais la réalité est plus complexe. Certes, la mobilité s’est accélérée et facilitée depuis 30 ans, on peut donc venir à Paris très facilement, mais aussi en partir. « En région parisienne, il y a plus d’opportunités pour jouer, mais il y a aussi une très forte concurrence. Des musiciens ont choisi de se baser dans une autre région pour pouvoir s’épanouir peut-être plus vite. Tout ça, ça dépend vraiment de la nature du projet, certains ont besoin de certaines conditions pour jouer, d’autres peuvent jouer partout ». Alors, la région parisienne, une scène où les musiciens émergents peuvent s’épanouir et grandir ? Par principe oui. Avec plus de facilité qu’ailleurs ? Rien n’est moins sûr.

Pierre-Olivier Bobo
Arthur Guillaumot
Guillaume Malvoisin

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