© Cité internationale des arts x Maurice Tric

Mercredi 1er décembre, le colloque « Outre-mer et international : comment les artistes peuvent créer, produire et montrer leurs œuvres » associait artistes, professionnel.le.s de la culture et intellectuel.le.s autour d’échanges liant pratiques artistiques, migrations et identités ultra-marines. Organisé par AJC et la Cité internationale des arts, cet espace souhaitait questionner l’urgence à la coopération et l’échange international des cultures et acteur.rice.s ultra-marin.e.s.

Dans les régions ultrapériphériques, les cultures et les individus se mélangent. « Les Outre-mer sont dans des bassins lointains ; l’international, c’est du quotidien », défend Christiane Taubira, l’ancienne garde des Sceaux. En Martinique et en Guadeloupe, des contacts pourraient ainsi s’accélérer avec l’espace caribéen ; en Guyane, les échanges avec le continent américain pourraient s’intensifier dans un partage culturel ; enfin, à Mayotte et à La Réunion, l’espace de l’Océan Indien pourrait toujours s’affirmer davantage comme une plate-forme tournante d’échanges culturels idéale. Développer des politiques structurées, des partenariats au long cours sur ces « zones d’influence » est aujourd’hui crucial pour les Outre-mer.

Concilier identité individuelle et dimension internationale relève de la force de caractère, comme le soulève Christiane Taubira. « On n’est pas attendus, ni par les infrastructures ni par les individus. On est obligés de se surpasser. On est condamnés à cet espèce d’héroïsme permanent. » Pour autant, quitter son territoire, confronter son identité d’artiste à d’autres doit participer d’un choix délibéré car « quand on a le choix de partir, c’est bien ; quand on est contraint, ça raconte autre chose » souligne Manuel Césaire, directeur de la Scène nationale Tropiques Atrium en Martinique.

Pour les artistes de la table ronde, l’international est d’ores et déjà présent dans leurs identités. Isabelle Fruleux, artiste résidente à la Cité internationale des arts, est née d’un père martiniquais et d’une mère polonaise et a grandi à Marseille, dans les quartiers populaires. Puiser dans les textes martiniquais a été pour elle un moyen de conjuguer ses racines multiples : « J’ai été accueillie dans les textes de Fanon, de Glissant ou de Césaire. J’ai senti que je pouvais entrer dans ces textes en étant tout ce que j’étais à la fois. » Les cultures ultramarines permettent d’interroger ces origines kaléidoscopiques. Le projet « Bigidi Pa ka tonbé » mêlant performance artistique et dansée de l’artiste Nayabiwgué Abrin et de la danseuse de twerk Patricia Badin, réunis car résident.e.s parisien.ne.s et coupé.e.s de leur Guadeloupe, interroge leur rapport à cet « ici » métropolitain et ce « là-bas » originel. Cédrick-Isham Calvados, auteur de la série documentaire « Labalavi » poursuit ces mêmes interrogations quant à la diaspora guadeloupéenne : « Au niveau de mon identité, qu’est-ce que je perds, qu’est-ce que je gagne, qu’est-ce que je transforme dans un espace qui me demande sans cesse de m’intégrer ? »

Pour les intervenant.e.s, ces interrogations liées aux identités sont essentielles pour désamorcer les stéréotypes liés aux cultures ultramarines et faciliter la présence internationale des artistes. « Il y a souvent un non-dit, une attente particulière sur une création esthétique d’Outre-Mer. L’Outre-Mer a le droit d’avoir des créations contemporaines, et le droit de ne pas avoir quelque chose “qui fait” antillais ou autre », résume Manuel Césaire. Pour aller dans cette direction, Jacques Martial, conseiller délégué aux Outre-mer à la mairie de Paris, souligne l’importance des espaces de dialogues et de rencontres comme à la Cité internationale des arts. « Quand les institutions bougent, s’interrogent sur ce ”nous”, les choses peuvent commencer à bouger ».

Lucas Le Texier

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