Philippe Metz : À Toulouse, on est complètement décentralisés. Ce qui est bien plus intéressant, c’est de travailler avec les autres villes. Aujourd’hui, on a plus besoin de travailler avec Barcelone ou l’Italie qu’avec Paris. Oui, bien sûr, il y a le CNM (Centre national de la musique, ndlr), le ministère de la Culture et les têtes de fédérations qui sont à Paris. Mais pour moi Ceccaldi ça me fait plus penser à Orléans qu’à Paris. Qu’est-ce qu’il reste à Paris ? Les maisons de disques et les labels, y en a plus.
Jean-Pierre Layrac : On ne peut pas travailler avec les autres régions, le problème il est bien là. On a déjà eu du mal à se rencontrer avec Montpellier, Bordeaux c’est inexistant pour nous, Barcelone c’est encore un autre défi. C’est là qu’il faudrait arriver à faire des efforts mais pour ça, on est obligé de passer par Paris.
Matthieu Cardon : Dans les trajectoires des groupes, c’est malheureux mais ça reste quand même important de passer à Paris. Il peut y avoir un peu d’autosuffisance en région, mais il ne faut pas se leurrer. À Toulouse, les loyers augmentent aussi, certains musiciens partent un peu autour pour se loger et ça va générer des initiatives en milieu rural. Si tu arrives à être programmé dans certains festivals, il y a quand même un côté prescripteur qui est plus important. C’est aussi là-bas que tu vas croiser plus de journalistes. Toulouse, à cinq heures de Paris, pour inviter des pros ça reste quand même compliqué.
Fanny Pagès : J’ai toujours tendance à penser que Paris ne doit pas être un objectif quand on est provincial, mais un moyen. C’est un accélérateur, une centrifugeuse qu’il faut utiliser à tous les endroits : production et médias.
Philippe Metz : Je crois que le redécoupage des grandes régions impacte la façon dont on y travaille. Ça nous oblige aussi à circuler plus dans nos grandes régions. Mais il y a un peu un malaise quand même… La Fédurock (Fédération de lieux de musiques actuelles et amplifiées, ndlr) de l’époque, l’AFIJMA (Association des Festivals Innovants en Jazz et Musiques Actuelles, ex- AJC, ndlr), la FNEIJMA (Fédération Nationale des Écoles d’Influence Jazz et Musiques Actuelles, ndlr)… tout ça s’est professionnalisé et je trouve qu’on a perdu nos ancrages territoriaux. Ça créé un déséquilibre entre les régions et Paris.
Fanny Pagès : Je ne crois pas que le modèle parisien soit induit par les financeurs, c’est plus ancien. Le modèle médiatique induit ça aussi : avoir des médias régionaux forts, ça facilite l’autonomie de circulation en interne. On pourrait presque se dire que le modèle du passage par Paris correspond à un modèle productiviste. Il faut vendre, il faut tourner, on veut sortir de la région donc on va à Paris. Or si on choisit un modèle alternatif de développement, on peut sortir très ponctuellement de la région mais ce n’est pas grave, car on arrive à vivre dans la région, l’intermittence fonctionne et ça marche aussi. Ce choix est propre à chacun, aux envies de chaque musicien et musicienne. Paris est un accélérateur mais finalement ça ne change pas l’identité profonde de ce que les artistes ont en eux lorsqu’ils quittent la région. Je pense à Leïla Martial, et ce n’est pas un hasard si elle est allée résider pendant plusieurs semaines dans les forêts du Congo. Parce que cette fille a grandi dans les forêts et montagnes ariégeoises et quelque part c’est presque comme un retour au naturel, aux sources.
Jean-Pierre Layrac : Tu parles de Leïla Martial, j’ai un contre-exemple avec Sylvain Darrifourcq qui a fait ses classes à Toulouse. À un moment donné il s’est dit qu’il était obligé de monter à Paris. Et maintenant Sylvain Darrifourcq, ce n’est plus un artiste toulousain. Quand il revient, il est content et il voit ses amis, mais c’est un musicien parisien. Ça lui a permis de rencontrer des gens grâce au brassage de musiciens. Il n’aurait pas pu le faire à Toulouse. Et à l’inverse, Marc Démereau n’a jamais eu l’intention d’aller chercher ça à Paris. Lui s’est dit, je construis autour de moi avec les musiciens du coin.
Matthieu Cardon : J’ai l’impression qu’on donne à Paris une place trop importante dans notre échange. Oui c’est un passage, mais dans le quotidien tous les musiciens s’en cognent. Quand il y a une belle occasion d’aller y jouer, c’est super. Quand c’est une occasion un peu à l’arrache, c’est comme ça peut l’être ailleurs. Il y a un peu plus d’espoir mis sur le boulot de production, de relations presse qui est plus accentué qu’ailleurs, mais peut-être que ça ne va pas au-delà de ça.