Confronter les opinions, échanger les expériences entre 6 professionnel·le·s et dispositifs d’accompagnement présents aux 5 coins de l’Europe (Pologne, Italie, Angleterre, Irlande, Belgique), c’est le luxe que nous nous sommes offert. Des premières ambitions et des grands traits de leurs dispositifs, des relations qu’ils et elles entretiennent avec le monde de l’éducation, de leur propension à travailler ensemble pour toujours mieux accompagner les artistes, on déroule avec vous des discussions passionnantes et passionnées.

Enrico Bettinello / Nuova Generazione Jazz (I-Jazz)
Steve Mead / mjf Souncheck, mjf hothouse, mjh originals (Manchester Jazz Festival)
Kenneth Killeen / 30/30 (Improvised Music Company)
Karolina Juzwa / International Jazz Platform (Wytwornia Foundation)
Lobke Aelbrecht / Stepping Stone (JazzLab)
Martel Ollerenshaw / anciennement Take Five (Serious)

nous avons un problème... et des solutions

Enrico Bettinello

Après avoir assisté à de nombreux concerts hors d’Italie, j’ai réalisé que je devais travailler sur un programme en Italie qui dirait “nous avons aussi plein de musicien·ne·s intéressant·e·s et les voici”. Je voulais montrer que les artistes en Italie méritent la même attention que celles et ceux d’autres pays. C’était l’un de mes premiers sentiments. Nous devons aussi veiller à amener l’artiste plus vers une meilleure prise de conscience de ce qui se passe autour de lui ou elle. Cette prise de conscience peut couvrir un large éventail de domaines, de la promotion à la production de disques en passant par la diffusion, etc. Mais elle doit être de plus en plus dédiée à répondre à des questions telles que “Qui êtes-vous en tant qu’artiste ? Que pouvez-vous faire ? Quel est votre rôle dans la société ?

Steve Mead

Au fil des années, nous avons remarqué un manque de diversité parmi les artistes que nous programmions et que nous devions nous-mêmes intervenir pour que les personnes que nous ne parvenions pas à toucher avec nos canaux de communication, ou qui ne se sentaient pas suffisamment en confiance pour venir à nous, puissent prendre part à notre action. Ce faisant, nous espérions avoir un éventuel impact positif sur le visage et le développement du monde du jazz dans son ensemble. C’est notre principale raison. Nous commandons des œuvres et gérons des programmes destinés aux artistes depuis longtemps et il est plus qu’important de continuer à le faire, car nous commençons tout juste à entrapercevoir cette révolution dans le renouvellement artistique.

Kenneth Killeen

J’utilise toujours cette simple analogie: “Nous devons créer les échelons d’une échelle“, car l’artiste doit savoir qu’il ou elle progresse vers un chemin, une trajectoire plutôt que de tourner en rond. Tout ce que nous faisons doit répondre aux besoins de cette communauté. Et certains de ces besoins peuvent être très localisés. Par exemple, en Irlande, il y a un manque de clubs de jazz et d’infrastructures. Du fait de l’absence de ces structures, notre travail consiste à créer, grâce à ces programmes de soutien aux talents, de nouveaux espaces et un public capable de s’identifier à cette musique. Je veux créer des programmes qui disent essentiellement : “Voici un échelon de votre échelle en plus pour votre carrière, et si vous montez quelques échelons de plus, il y aura un autre programme”.

Karolina Juzwa

Nous devons le faire pour que la musique que nous aimons survive. Le système éducatif ne répond pas assez aux besoins des artistes et ne les aide pas à trouver un emploi par la suite. Lorsque nous avons lancé cette INTL Jazz Platform, c’était  pour leur offrir des opportunités de se développer, jouer davantage et survivre sur le marché. En Pologne, les structures académiques sont assez anciennes et centrées sur une seule façon de s’exprimer et de jouer du jazz. Nous avons donc au départ uniquement pour les artistes polonais·es, mais aussi au fil des ans pour les artistes étranger·e·s,  essayer de leur montrer ce qui se passe à l’extérieur en termes de musique, comment celle-ci se développe, et comment faire en sorte que les nouvelles générations s’y intéressent.

Lobke Aelbrecht

J’ai eu la chance de voir de nombreux projets internationaux réunissant des musicien·ne·s mais où le schéma d’intervention me semblait figé et où il n’était jamais vraiment question de de quoi les artistes avaient besoin. Nous organisions également des concerts, mettions en place des collaborations, etc. et j’avais parfois l’impression que nous faisions sans y inclure les musicien·ne·s, sans les impliquer. Ce que nous voulions faire avec Stepping Stone, c’était vraiment impliquer l’artiste: “De quoi avez-vous besoin en ce moment ? Où devez-vous aller pour développer votre carrière ? Et comment pouvons-nous vous y aider ?” Au lieu de concocter un programme et d’espérer qu’il convienne aux musicien·ne·s et qu’ils et elles soient reconnaissant·e·s.

Martel Ollerenshaw

En tant qu'”opérateur culturel”, travaillant directement avec les artistes, sans pour autant être manager ou agent mais plutôt la personne capable de concevoir et de gérer un projet de A à Z, j’ai développé mon propre “sac à astuces”. Lorsque j’ai commencé à travailler avec Serious, nous avons eu l’occasion de créer un programme de soutien aux talents. Nous avons élaboré une méthodologie qui est ensuite devenue Take Five et ses nombreuses variantes : Europe, Suisse, Norvège, etc. Travailler directement avec les artistes signifie leur parler tout le temps, comprendre leurs besoins, leurs ambitions et tous les facteurs qui les empêchent de les réaliser. Et si les artistes étaient informés de ce qui est possible, de comment le secteur fonctionne, ils et elles pourraient agir plus efficacement au sein de ce monde.

l'école est finie

Steve Mead

J’ai énormément de respect pour les personnes qui travaillent dans le système éducatif. Une partie de ce que nous faisons – et je ne veux pas paraître arrogant – est cependant de rééquilibrer cette action qui a produit « un » jazz. Nous cherchons les musicien·ne·s qui ne sont pas formaté·e·s par ces systèmes pour leur donner une chance de se développer grâce à des programmes alternatifs. Nous savons que nous ne pouvons pas changer les choses du jour au lendemain, mais nous nous devons d’intervenir tout en maintenant le dialogue. Nous essayons donc de travailler avec eux plutôt que contre eux, mais en même temps, de remettre en question leur modus operandi. Nous voulons un secteur du jazz qui soit une célébration de la diversité musicale et culturelle, qui représente la profession et le public et qui fasse avancer la musique dans des directions musicales qui ne sont pas nécessairement académiques.

Dana Masters, Down With Jazz 2021 © John Cronin, Dublin Jazz

Karolina Juzwa

Nous avons le même problème, avec un système universitaire formant grand nombre de musicien·ne·s, jouant uniquement le “bon genre” de jazz et des artistes qui ne peuvent pas explorer leur propre voix. Nous avons donc voulu leur donner, il y a 10 ans, une chance de rechercher leur propre singularité musicale. Ce n’est que de cette manière, si elle est authentique et si vous vous sentez à l’aise avec elle, que la musique peut se développer et que les gens l’écouteront. Il y a un “petit cancer” qui se développe au sein du système éducatif avec des musicien·ne·s/professeur·e·s qui ne veulent pas que cette musique ou leurs élèves évoluent. C’est notre rôle de montrer à ces jeunes artistes ce qu’est le monde réel.

Kenneth Killeen

Je suis aussi fortement convaincu par ceci. L’éducation musicale semble tout simplement cassée. Si vous regardez le jazz européen, nous devons comprendre qu’il s’agit d’une identité musicale naissante, de façon relative. Et cette identité musicale est un héritage, transposé dans un enseignement qui est certes crucial mais qui peut aussi complètement éliminer les identités musicales qui en émergent. Il n’est pas facile de dire “C’est ma musique, j’ai pris l’alphabet du jazz et je l’utilise pour faire cette musique. Mais je n’ai pas peur de m’éloigner de la tradition pour le faire”, contrairement à “Je joue des trucs qui sont une sorte de clone de trucs stéréotypés“.

Enrico Bettinello

En Italie, d’une part, un grand nombre de professeur·e·s ne sont plus connecté·e·s au monde réel et portent une image du jazz tout droit venue du passé. Mais il faut rappeler que ce système a apporté beaucoup de bien-être au jazz italien lorsque nous avons commencé à penser et à travailler sur notre identité nationale, plutôt que d’être dépendants du modèle américain. En fin de compte, l’artiste reste l’élément le plus faible de la chaîne. Il souffre d’ “institutions” qui ne le prennent pas en compte. Ces dernières années, de nombreux musiciens et musiciennes m’ont sollicité en tant que directeur artistique. D’un côté, je suis flatté, de l’autre, je me dis que ce·tte musicien·ne de 25 ans demande quelque chose qui devrait être à sa portée mais qu’il n’a pas été assez accompagné.

Lobke Aelbrecht

J’ai le sentiment que beaucoup d’étudiant·e·s qui sortent des conservatoires ont l’illusion ou sont dans l’illusion que le monde les attend. Ça n’est pas le cas. Et ils et elles sont alors très frustré·e·s. Beaucoup ont également le sentiment que la seule façon de réussir en tant que musicien·ne est de monter sur scène et de jouer de la musique au lieu de participer à des ateliers, des expositions, de travailler avec leur public sur d’autres voies musicales. Cela, ajouté à ce qui a été dit, est aussi un peu absent du système éducatif ici.

Le système éducatif actuel, basé sur la virtuosité de l'instrument, n’encourage pas la compréhension du métier.

Martel Ollerenshaw

Le système éducatif a une vision étroite de ce qu’est une carrière. En général, les musicien·ne·s reçoivent un enseignement dispensé par des universitaires, qui sont d’ancien·ne·s musicien·ne·s qui, pour la plupart, ont une vision inadaptée du secteur. De plus, le système éducatif actuel basé sur la virtuosité de l’instrument, n’encourage pas la compréhension du métier. Vous vous retrouvez donc avec quelqu’un qui a été formé à la performance ou à l’aspect créatif du travail, mais pas au travail dans son ensemble et qui a parfois une vision déformée de celui-ci.

Karolina Juzwa

Nous avons été inspirés par le système académique norvégien en découvrant toute l’attention portée à la recherche de son propre son, de sa propre originalité. Outre le développement artistique, il y a aussi le développement professionnel qui fait totalement défaut dans le système académique car personne ne se soucie de ce que les musicien·ne·s font quand ils et elles partent. Notre rôle est de s’y intéresser parce qu’être un·e musicien·ne professionnel·le est une chose difficile, surtout au début, et cela mérite toute notre attention.

Kenneth Killeen

La musique qui m’intéresse, la musique qui “fait bouger les choses”, est exploratoire, jeune et naissante. C’est pourquoi il est si important de la nourrir et de la soutenir.

la loi de la jungle : entre compétition et coopération

Kenneth Killeen

Même les Norvégien·ne·s seraient d’accord pour dire que le jazz est sous-financé ! De ce fait, toute organisation impliquée dans le jazz est tellement concentrée sur ses propres actions, qu’elle en oublie de partager et de travailler avec les autres. Or, pour que les choses fonctionnent, il faut que toutes les parties concernées soient en accord, d’une manière ou d’une autre. Mais c’est difficile, tant nous sommes tellement concentrés sur nos propres territoires et objectif, protégeant nos financements. En Irlande, nous avons créé l’Irish Jazz Forum. Nous avons identifié tous les acteurs du jazz financés par le Conseil des arts irlandais et nous avons écrit la toute première lettre au gouvernement en disant “voici ce qui ne va pas, voici les choses qui sont sous-financées, voici quelques recommandations “. Si tous les membres de la communauté soutiennent le même projet, il peut en résulter un travail plus constructif, comme une meilleure reconnaissance et acceptation de cette forme d’art.

Karolina Juzwa

Notre écosystème navigue entre concurrence et coopération et c’est un problème car les programmateur·rice·s se font concurrence et ne veulent pas coopérer. Nous pensions avoir trouvé une bonne recette avec le projet Footprints, en formant des artistes et des agents, en faisant travailler des programamteur·rice·s expérimenté·e·s auprès de structures locales. Et nous avons réalisé que nous avions encore beaucoup de difficultés à promouvoir les jeunes artistes, parce qu’il n’y avait pas de coopération entre programmateur·rice·s. La manière de programmer doit changer et notre rôle est de faire comprendre à ceux-di qu’il est obsolète de ne pas travailler ensemble. Notre capacité à faire des compromis quand on fait de la programmation est cruciale. Cela ne correspond pas toujours à ma vision artistique, mais montrer cet artiste plus souvent plutôt que de me faire plaisir répond à un objectif.

Enrico Bettinello

C’est un problème qui ne date pas d’aujourd’hui, même dans le monde du spectacle vivant. Aussi longtemps que notre système sera construit autour de l’idée d’être original et créatif, ce type de compétition perdurera, sans même prendre en compte le comportement individuel, et, ce même avec les programmateur·rice·s les plus ouvert·e·s. Les institutions ont fondé une partie de leur travail sur l’idée de création, créant  l’un de nos plus grands problèmes. Les artistes doivent créer, mais les programmateur·rice·s doivent aussi le faire, ce qui entraîne une concurrence et un malentendu.

Aussi longtemps que notre système sera construit autour de l'idée d'être original et créatif, ce type de compétition perdurera.

Martel Ollerenshaw

Grâce à Serious, nous avons pu travailler avec ces musicien·ne·s, en facilitant les collaborations, en leur commandant de nouvelles œuvres, en les plaçant en tant que sideman/sidewoman avec des artistes plus expérimenté·e·s et établi·e·s, en les mettant en scène de différentes manières tout au long de la formation. Mettre en relation ces nombreux artistes avec notre équipe et avec tant de professionnel·le·s a eu un impact énorme sur la scène artistique et a rendu la scène locale très dynamique. Cela a en effet permis à une toute nouvelle génération d’artistes de nous rencontrer et vice-versa, puis de rencontrer un public et d’autres programmateur·rice·s dans le pays. Cela a eu un effet boule de neige sur l’ensemble du jazz anglais et créé ainsi de nombreux espaces de coopération.

Lobke Aelbrecht

En période de covid, nous avons ressenti plus fortement cette opposition entre programmateur·rice·s et artistes où l’un·e veut quelque chose, et l’autre veut quelque chose de différent. Il s’agit d’une autre forme de concurrence, où les salles semblent toujours être en position de force. Lors de la pandémie, il n’y avait pas de concerts et le seul soutien du gouvernement passait par les salles, ce qui leur donnait une énorme responsabilité envers les musicien·ne·s et a conduit à une concurrence encore plus dure. Nous devons absolument contrer cela, en écoutant les besoins des musicien·ne·s, en nous asseyant avec et en leur faisant sentir qu’il s’agit d’une coopération. Il ne s’agit pas seulement de nous sentir généreux, mais de créer les conditions nécessaires à une véritable collaboration, sur un pied d’égalité entre artistes, les salles et les programmateur·rice·s qui échangent et travaillent ensemble.

Steve Mead

Une partie de notre secteur n’est pas connectée à nos modèles et nos artistes selon moi, parce que :

– Le soutien aux artistes est relativement coûteux et n’est pas une activité très rentable. Sans un large subventionnement, il est très difficile d’obtenir un modèle économique qui soit rentable pour une activité dédiée au soutien des artistes.

– C’est un travail sans retour garanti et sans retours sécurisés.

Clément Janinet & Benjamin Flament, Space Galvachers - Intl Jazz Platform © Mikoƚaj Zacharow

– Il faut un certain nombre de compétences pour faire ce travail. Il y a quelques années, nous avons vu soudainement de nombreux acteurs s’occuper de la promotion des jeunes talents, mais ils travaillaient tous sur les mêmes modèles et personne ne pouvait démontrer l’intérêt de ceux-ci. Ce que nous apportons et ce qu’ils n’apportent pas ou ne peuvent pas apporter, c’est un réseau solide avec des connexions et des rencontres fortes qui permettront aux artistes d’élargir leurs horizons.

diplomatie douce et réciprocité

Kenneth Killeen

Prenons l’exemple de l’Europe Jazz Network, je veux l’utiliser pour mettre en valeur les meilleurs talents irlandais et leur donner l’occasion, grâce à mon échelle imaginaire, de franchir de nouvelles étapes. Mais tout le monde veut la même chose pour ses artistes, alors je dois rendre la pareille. Et la réciprocité est un élément fondamental du bilatéralisme de l’engagement en réseau. Aujourd’hui, nous devrions demander aux organisations nationales, et plus particulièrement à celles et ceux qui les financent, de réserver un budget dédié à ce type de contrepartie.

Enrico Bettinello

En Italie, l’argent que nous recevons sert uniquement à exporter des musicien·ne·s et nous n’avons pas d’outils pour favoriser la réciprocité. Et elle n’est pas facilitée par l’attitude de nombreuses structures. Nous sommes souvent confrontés au problème suivant : “tout le monde vend, très peu achètent”. C’est un système déséquilibré. Et ce n’est pas uniquement dû à un manque d’intention mais à la nature inhérente du système de soutien. Il est si difficile de faire jouer la réciprocité de façon récurrente. Tout dépend de la création de plateformes comme nous essayons de le faire avec Constellations, et du bon état d’esprit et des intentions des programmateur·rice·s. Il est souvent plus facile pour nous de parler et d’établir ces connexions avec notre réseau européen, que de partager ces idées avec d’autres programmateur·rice·s italien·ne·s !

Berlinde Deman, Stepping Stone © Geert Vandepoele

Karolina Juzwa

Avec nos partenaires internationaux, nous nous entraidons, nous travaillons ensemble, parce que nous connaissons ces programmes et ce travail de réseau. Il est plus facile de coopérer avec des personnes d’un autre pays que dans notre propre pays. Nous n’avons-nous aussi personne avec qui travailler dans notre propre pays, en Pologne. Il n’y a pas assez de programmateur·rice·s au niveau local, pas de structure pour travailler avec les artistes et promouvoir les artistes internationaux·ales. Trop de festivals, financés par l’argent public, ne promeuvent encore que des artistes américains alors que l’argent public devrait soutenir les émergents !

Martel Ollerenshaw

Beaucoup d’artistes de Take Five voulaient jouer à l’étranger. Nous avions des contacts, le bon réseau, après tant d’années de travail donc, c’était assez simple. Mais créer des espaces de réciprocité était beaucoup plus compliqué. Il y a des initiatives, comme 12 points, Melting Point, qui font ça très bien. Chez Serious, nous avons une sorte de « diplomatie douce » grâce à nos programmes, via les ambassades et les Bureaux Export, en essayant d’encourager la réciprocité à tous les niveaux de carrière et pas seulement pour les talents émergents. Mais c’est trop rare. Parce que si trouver des concerts au niveau national est difficile, c’est encore plus difficile au niveau international. Pour cela, il faut créer son propre réseau, sa plateforme, et s’en servir.

Lobke Aelbrecht

Nous voulons nous assurer que les musicien·ne·s concerné·e·s réalisent que le soutien que nous leur apportons n’est pas destiné à leur permettre d’obtenir rapidement des concerts à l’étranger, mais qu’ils et elles disposent du contexte et des contacts nécessaires pour construire ce réseau durable. Il se peut que ces artistes n’obtiennent pas de concerts dans les mois ou les années à venir, cela demande du travail et du temps. C’est certainement plus difficile aujourd’hui qu’auparavant, mais la construction d’un tel réseau est absolument cruciale pour se développer à l’étranger.

raconte-nous une histoire

Enrico Bettinello

Lorsque je demande aux artistes à qui ils aimeraient s’adresser avec leur musique, leur réponse est souvent: “C’est pour tout le monde.” Ce n’est malheureusement pas vrai. Il faut identifier une communauté d’auditeurs et travailler dessus. L’un des meilleurs moyens est de penser aux formats. En Italie, une grande partie du jeune public s’intéresse aux “festivals-boutiques”, plus petits, plus expérimentaux, où le public n’a pas forcement idée de qui jouent. Faconner le public à travers de nouveaux formats et façons de vivre la musique est un vrai sujet. Nous devrions également donner des exemples à suivre. Rendre cette musique plus “à la mode” nécessite une meilleure représentation de notre monde, de nos musicien·ne·s, de l’expérience que le public vit lorsqu’il assiste à un concert de musiques dites créatives.

Kenneth Killeen

L’un de nos plus gros problèmes est que ces groupes dont personne n’a jamais entendu parler ne vendent pas de billets. Et il y a un travail énorme à faire dans les réseaux comme EJN pour une meilleure communication et une meilleure stratégie marketing autour de ces artistes. Nous avons besoin de personnes pour créer un récit autour de ces jeunes groupes que je peux voir lors d’un concert de Jazz Migration ou d’une soirée Jazz Connective. Et cela fait aussi partie du développement du public.

Lobke Aelbrecht

Les artistes doivent être conscients qu’il leur faut autant chercher un public que des concerts. Beaucoup trop d’artistes ne prennent aucune responsabilité dans la recherche d’un public. Pour un petit pays comme la Belgique où les musiciens doivent penser à l’international et trouver des artistes avec qui travailler et collaborer, c’est une question cruciale. Car ces connexions peuvent vous amener à partager la scène d’un festival avec des artistes locaux, créant ainsi un réseau et, par effet domino, vous aidant à travailler votre public.  Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez forcer mais c’est ce sur quoi nous insistons avec Stepping Stone, comme nous l’avons fait récemment en Suède où nous avons essayé de mettre en relation nos musicien·ne·s avec le public suédois en organisant des masterclass avec des étudiant·e·s, des ateliers, des interviews et pas uniquement en donnant un concert.

Maëlle Desbrosses et Ola Kryńska - Intl Jazz Platform © Mikoƚaj Zacharow

Martel Ollerenshaw

C’est un état d’esprit. Beaucoup d’artistes pensent que s’intéresser au public ne releve pas de leur travail, ce qui est ridicule quand on pense que la musique est un moyen d’expression, de communication et d’interaction. Et si ces personnes veulent vivre de leur métier de musicien·ne, elles doivent communiquer avec quelqu’un. C’est un problème qui n’est pas du tout traité au conservatoire parce que la plupart vivent dans un monde abstrait où ils ne font que pratiquer et jouer pour eux-mêmes. Le grand public, les gens qui paient pour des CD, qui écoutent de la musique en streaming ou la téléchargent, c’est un public, et les musicien·ne·s doivent communiquer avec lui. Il existe de nombreuses façons, de nombreux moyens et de nombreuses personnes qui peuvent y travailler, mais les musiciens doivent reconnaître que cette question est cruciale et qu’ils doivent mettre en place une stratégie pour le rencontrer, l’activer et le developper.

Steve Mead

Il y a quelque chose dans le processus de décision et dans le choix des artistes que nous avons décidé de soutenir qui pourrait contribuer à rééquilibrer le problème de la recherche de public. Parce que si nous faisions très attention à choisir les bons artistes, nous pourrions identifier et développer un public avec. Cela demande beaucoup de temps et de travail mais je pense que si nous travaillons avec des artistes qui ont quelque chose de spécial et de distinctif à proposer, nous pouvons identifier un certain “potentiel de marché” et créer une dynamique autour de leur musique. Nous devons commencer au plus tôt avant que cela ne devienne soudainement un problème.

commençons par le commencement

Karolina Juzwa

Nous voulons offrir des conditions aux artistes pour qu’ils puissent se développer. Nous voulons les inspirer, les motiver en créant une énergie partagée avec les autres artistes. Il s’agit de faire venir des personnes inspirantes, des musicien·ne·s plus expérimenté·e·s pour partager leurs expériences et d’autres manières de montrer la musique. Dans un premier temps, il s’agit donc de leur donner une inspiration dont ils pourront se nourrir. Ensuite, il s’agit de construire une communauté à laquelle s’identifier. C’est la chose la plus importante. Parce qu’en fin de compte, toutes les amitiés nouées tout au long de la plateforme constitueront les aboutissements les plus cruciaux. Nous parlons souvent de l’importance de la communauté pour nous, professionnel·le·s, alors imaginez à quel point elle peut être importante pour un·e musicien·ne de 22 ans ?

Kenneth Killeen

Nous devons développer des programmes réactifs. Nous identifions les talents puis nous créons des programmes pour les nourrir ou les faire éclore. Ensuite, nous essayons de leur offrir un encadrement professionnel complet, afin de leur permettre de développer leur vision du monde, leur conscience et leur professionnalisme. Nous les présentons sur des plateformes, des petites puis des plus grandes. Et enfin, nous espérons exporter ces artistes.

Nous voulons aussi accroître la mobilité nationale et nous le faisons par le biais d’une série de résidences, en développant de nouvelles relations avec les lieux d’accueil des artistes, afin de mieux faire connaître ces musiques dans des régions où il est relativement peu répandu, et aussi en aidant les artistes à établir des liens avec le public. Parallèlement, nous travaillons à l’élaboration de nouveaux modèles d’interaction entre artistes et public en dehors de la simple représentation, afin de mieux intégrer le public.

Enrico Bettinello

Le système éducatif devient de plus en plus restrictif, canalisant l’imagination de nombreux·ses musicien·ne·s et notre travail consiste à corriger cela. Notre programme a ainsi été créé sur l’importance de mettre en place des concerts pour les artistes. Mais nous avons estimé que ce n’était pas suffisant et avons décidé de nous concentrer aussi sur le tutorat et le mentorat des artistes: le streaming, le marketing, la diffusion, l’administration, la communication, autant d’aspects qu’ils ignorent la plupart du temps.

Nous parlons souvent de l'importance de la communauté pour nous, professionnel·le·s, alors imaginez à quel point elle peut être importante pour un·e musicien·ne de 22 ans ?

Nos échanges doivent leur faire prendre conscience de tout ce dont ils disposent avec nous pour stimuler leur curiosité́ envers d’autres arts, d’autres publics et formats. Nous essayons de faire en sorte que l’imagination qu’ils déploient sur scène puisse être reproduite dans leur vision professionnelle.

Blanche Lafuente, Nout - Festival Rotterdam © Seth Abrikoos

Steve Mead

J’aime l’analogie de Kenneth, qui parle d’identification, d’incubation et de mise en place de plateforme, car cela ressemble beaucoup à ce que nous faisons. Nous avons créé trois programmes distincts, ciblant différentes étapes de carrière. Le premier consiste davantage à donner confiance aux artistes, à les aider à développer leurs compétences et à les accompagner dans la création de leur propre identité. Hot House est une résidence de six mois, au cours de laquelle les artistes sont interrogés en profondeur sur leur parcours artistique, leurs ambitions, puis mis en relation avec un mentor, afin de les amener à réfléchir à de nouvelles voies, de nouvelles approches. Le programme se termine par un concert. Enfin, nous avons ce programme dans le cadre duquel nous passons une commande à l’artiste, avec des répétitions et une première dans le cadre du festival.

Il y a une ligne directrice entre tous ces programmes, un parcours ou une échelle disponible. Et notre travail consiste, comme nous le disons souvent, à “essayer de propulser leur carrière”.

Lobke Aelbrecht

Vous pouvez trouver des informations pratiques sur les stratégies de communication, faire vos propres prises de son où vous voulez. Et si la plupart des programmes de soutien se concentrent sur cet aspect, je préfère avoir des conversations approfondies avec les musicien·ne·s pour comprendre ce qu’ils et elles veulent atteindre et ce qui les retient, et réfléchir à la manière dont ces aspects peuvent être débloqués ou facilités. Mon travail consiste à comprendre le secteur afin de pouvoir leur montrer les possibilités et les opportunités qui leur sont offertes.

Nous accordons également beaucoup d’importance aux connexions. Trouver un e-mail ou un numéro de téléphone est facile, mais créer son réseau est plus complexe. Nous voulons aider les artistes à utiliser nos connexions et à faire de celles-ci leur propre réseau, afin qu’ils puissent ensuite aller plus loin. J’aime beaucoup la citation “Donnez un poisson à un homme et il mangera un jour, apprenez à un homme à pêcher et il mangera toute sa vie”.

Les Rencontres AJC seront de retour les 2, 3 et 4 décembre! 

Retrouvez-nous du lundi 2 au mercredi 4 décembre,

à la Dynamo de Banlieues Bleues

pour une nouvelle édition des Rencontres AJC !

Programme et inscriptions disponibles à ce lien !