Héloïse Divilly - You @ Jazzèbre © Luc Greliche

Depuis bientôt 20 ans, AJC accompagne les musicien.ne.s de jazz grâce au travail quotidien de ses adhérents. On retrouve ce travail au sein du dispositif Jazz Migration. Ce programme qui a su s’adapter aux nouvelles logiques et réalités qui se sont imposées au monde du jazz. Depuis 2014, Jazz Mig offre un parcours professionnalisant sur 2 ans et donne aux artistes les clés nécessaires au développement de leurs projets. Quelles sont ces nouvelles réalités que doivent appréhender les artistes aujourd’hui ? Comment les accompagner dans ce monde du jazz en perpétuel changement ? Comment imaginer untravail en collectif qui puisse faire sens dans ce contexte ? Retours d’expériences collectées auprès de musicien.ne.s passé.e.s par Jazz Mig.

Nous avons confronté cette idée d’émergence à cinq regards. Cinq regards issus de trois générations de musicien.ne.s passé.e.s par Jazz Migration au fil de leur parcours. On croise les points de vue en cinq chapitres.

On vous refait le coup de l’iceberg ? Sous la partie rendue publique et affichée par un.e artiste, il y a, souvent, tout un univers de questions, de préoccupations, de prises de position, de volontés et de désirs aussi. Que ce.tte artiste soit chevronné.e ou aux prémices de la mise en place d’une idée. Cette nébuleuse intime et, donc, complexe à appréhender comme à expliciter, évolue avec le parcours et la pratique d’un.e musicien.ne. Rien n’y est vraiment linéaire. Dès lors, peut-on parler d’émergence, en se plaçant du point de vue des musicien.ne.s ?

ça commence ?

Joachim Florent est contrebassiste, issu notamment du creuset Radiation 10 aux côtés de Clément Janinet, Julien Desprez ou Fidel Fourneyron présents dans les pages de ce magazine. Jazz Migration a croisé le route de Joachim à plusieurs reprises. Il était de la première génération des lauréats en 2007 avec le Brice Martin Quartet. Sa parole, claire et franche, bénéficie du recul nécessaire à l’évolution des dispositifs de soutien et d’accompagnement. « Au risque de paraître un peu dur, il me semble que le terme d’émergence a été inventé par le milieu de la culture publique ou subventionnée, pas par les musicien. ne.s. J’y vois un sens très politique pour créer un consensus entre les organisateur.rice.s de concerts et les financeurs des collectivités ou du ministère : faire jouer des jeunes groupes. Je ne peux m’empêcher d’y déceler une connotation assez négative. » Celle-ci sous-entendrait qu’avant d’avoir sorti la tête de l’eau et rejoint leurs aîné.e.s reconnu.e.s, les jeunes artistes seraient noyé.e.s dans une masse amorphe. « Le problème est purement générationnel. Comment faire en sorte qu’une génération soit à l’écoute et au contact des musicien.ne.s des générations suivantes, alors que bien souvent le public qu’ils ont constitué a également du mal à se renouveler. »

À l’omega des générations Jazz Mig, on peut trouver la parole de Morgane Carnet, saxophoniste baryton au sein de FANTôME. Près de 20 ans après le lancement du dispositif, pas inutile de repriser qu’un groupe émergent est « un groupe de musique qui commence petit à petit à se faire entendre, à intéresser les programmateur.rice.s, à se faire une place dans le circuit des festivals et salles de concerts ». Définition simple, explication basique. Complétée par une autre musicienne, elle aussi lauréate de JM#5, Delphine Deau, avec le Nefertiti Quartet : « Émerger, c’est sortir de terre. Appliqué à l’artistique, ça peut évoquer l’artiste qui commence à ‘bien marcher’. Difficile de définir ceci, par ailleurs. Quand est-ce que l’émergence débute et quand est-ce qu’elle s’arrête ? En tout cas, en France, il y a pas mal de dispositifs, comme Jazz Migration, qui aident à l’émergence de projets et permettent de traverser d’un coup pas mal de barrières lorsqu’on est indépendant.e et inconnu.e des réseaux ». Lever des barrières, la formule est aussi laconique qu’efficace. Leila Martial, chanteuse iconoclaste en mouvement constant, remuant notamment les angles de son Group (JM 2014), passe sous la barrière pour développer : « Je pense qu’un.e artiste qui fouille et explore se sent souvent émergent.e. Emerger, c’est faire émerger son discours, le rendre lisible et identifiable. On peut se sentir émergent très longtemps. Toutefois, j’ai pu comprendre ce que ça signifiait aux yeux des programmateurs.trices ou structures au cours de mon parcours et j’ai l’impression qu’il y a parfois un léger amalgame entre émergent et alternatif ». On confondrait alors ce qui point et ce qui cherche ailleurs. Les dispositif d’accompagnement privilégieraient-ils alors un de ces deux aspects ? Leila poursuit : « On nomme émergent.e un.e artiste qui propose une musique singulière, pas tout à fait identifiable encore. Plusieurs paramètres permettent de devenir identifiable : le réseau de musicien.ne.s avec lesquels on crée et auquel on est affilié.e du coup. Puis les concerts et les disques. Petit à petit, on émerge, on prend forme, on devient identifiable. C’est certainement ce processus qu’on nomme l’émergence ». Fidel Fourneyron, tromboniste auto- proclamé d’Un Poco Loco, JM#1 en compagnie de Geoffroy Gesser et de Sébastien Beliah (par ailleurs passé par Jazz Mig en 2007 avec Wark), tire le fil de cette idée de long process puis d’instant T soudain : « C’est le moment, pour un groupe, un collectif ou un.e artiste, où mûrit un propos artistique, où on commence à avoir de l’expérience et une reconnaissance dans son milieu, et où on a l’envie de toucher un public au-delà de son réseau existant ». Sortir des clous, on rejoint le parallèle fait par Leila Martial entre émergence et singularité. Fidel reprend et ajoute : « À ce moment, le travail nécessaire dépasse largement l’artistique pour toucher la production, la communication, etc. C’est là qu’il y a un besoin d’accompagnement pour pouvoir aller plus loin ».

ne pas rater le train

Accompagner, c’est donc aider à sortir de l’œuf, à individuer une idée de musique, une envie. On joue alors les coaches en maïeutique. Et c’est le recours à cette idée d’émergence. Si le rapport est légèrement biaisé de fait entre institution et artiste sur la question, il faut afficher un compromis au public. Peut-on dès lors noter des difficultés dans la manière dont ce même public reçoit la musique d’un.e musicien.ne ou d’un groupe présentés comme émergents ? Leila Martial : « Je n’ai pas le souvenir d’avoir été présentée de la sorte, ou exceptionnellement. Je me suis sentie en développement jusqu’à très récemment. Tout simplement parce que ma musique est en développement aux oreilles des gens, je crois, jamais vraiment identifiable. Que je sois en développement perpétuel, c’est incontestable, mais je pense qu’il existe une réelle confusion entre l’émergence et la singularité. On devrait chercher des mots plus précis quand on parle des choses et des gens. Ou alors arrêter avec les mots quand on n’en a pas besoin. Peut être que le fait de présenter des artistes comme émergent.e.s les dévalorise aux yeux du public. On a souvent vu ça avec les premières parties justement. Le public n’est pas attentif et attend bruyamment la seconde partie. » Remarque en écho chez Delphine Deau : « En tant que groupe sélectionné par un dispositif comme Jazz Migration », nous créons « une curiosité et un a priori peut-être positif, voire une validation anticipée. Cela soulève en soi un vrai problème : le public se ‘conditionnerait’ alors avant un concert. Il faudrait pourtant pouvoir écouter et juger par soi-même, ça changerait beaucoup de chose ».

Morgane Carnet se tient, elle, à distance de cette réception anticipée, préférant fonder sa musique sur ce qui la touche, hors de tout avis. « Je suis mon chemin comme je l’entends, c’est long mais je n’ai pas vécu d’embûches. Évidemment, certaines personnes sont plus réceptives que d’autres à ce que je propose et à mon univers mais c’est le jeu et je pratique la musique que j’aime, je ne cherche pas spécialement à faire consensus même si le but est de partager ça et de faire plaisir à un max d’oreilles à l’écoute. » Parfois, comme c’est le cas pour Fidel Fourneyron, une tournée induite par des dispositifs d’accompagnement comme jazz Migration « coïncide presque avec mes premières expérience de leader d’un groupe ». Se pose alors pour le tromboniste, et d’évidence, la question de « la réception de (sa) musique par des publics différents suivant les lieux » où le groupe est amené à jouer. « Doit-on jouer exactement le même concert devant 50 ou 500 personnes, dedans ou dehors, devant un public plus habitué aux musiques expérimentales ou bien plus traditionnel ? Je crois qu’un.e artiste reconnu.e joue assez souvent devant un public qui vient pour lui, et donc plus dans sa zone de confort. Mais ce sont des questions qu’on est appelé à se poser dans ce genre de dispositif. Elles sont importantes, et on ne se les pose pas forcément quand on est en situation scolaire, ou bien en sideman comme c’était mon cas avant de faire la tournée Jazz Migration. »

À l’inverse, le fait d’être catalogué comme « émergent » aux yeux d’un public pourrait peut-être générer une attente plus grande. Voire quelques surprises. Retour des barrières à lever. Delphine Deau : « Il est clair que les dispositifs d’émergence permettent aussi de passer des éventuelles barrières du point de vue des programmateurs. qui n’avait absolument jamais donné suite auparavant à nos sollicitations, or le projet proposé était en tout point identique. Finalement, ils semblaient ravis ». Mais si cela peut libérer une forme d’appréhension mal assumée du côté programmateur, s’il n’y a pas le secours de l’étiquette, est-ce qu’au contraire, cette même étiquette peut d’une certaine manière « libérer » la musique et les idées pour un groupe mis sous l’aile d’un tuteur ? Delphine Deau poursuit : « Indirectement, oui, car si ‘être émergent’ c’est faire beaucoup de concerts, alors, inévitablement, la musique se libère. Effectivement, à force de jouer et de passer de bons moments avec le public, la musique grandit, une forme de confiance s’installe et donne envie d’aller plus loin. C’est même indispensable ». Exemple complémentaire de Fidel Fourneyron pour qui la quarantaine de concerts sur une saison avec Un Poco Loco « a soudé le groupe, humainement et musicalement », et a pu apporter au trio « à la fois de la confiance en (soi), et de l’expérience sur tout un tas de choses qui s’apprennent par la pratique : être plus clair dans son propos musical, être à l’aise sur scène, s’adresser au public, ne pas rater le train… ».

my generation

Si on se glisse dans la faille entrebâillée en début d’article par Joachim Florent au sujet du mot émergence, on peut atteindre un autre sujet de réflexion qui mérite un peu d’intérêt. Est-ce que le gap entre les définitions du principe d’émergence peut être soluble dans celui qui sépare une génération d’une autre ? Dit autrement, à considérer l’émergence d’un groupe ou d’un.e musicien.ne, la condescendance du regard ne rentrerait-elle pas trop en jeu ? Joachim Florent détaille : « Cette question rejoint la problématique de l’écoute intergénérationnelle ; on dirait que beaucoup de diffuseurs souhaiteraient que tel ou tel jeune groupe se développe de manière professionnelle en les liant avec leur public. Alors que ce que tel ou tel jeune groupe pourrait souhaiter, c’est que les diffuseurs leur trouvent la juste place dans leur programmation correspondant à la musique qu’ils jouent. Il peut effectivement y avoir dans cette attitude un brin de paternalisme. » et Delphine de jouer l’effet miroir : « À l’inverse, je me pose plutôt cette question : considère- t-on assez les musicien.ne.s et les groupes pas encore ‘officiellement’ émergents ? ». On vous laisse le temps de la réponse, à peine bousculée par une autre idée, signée Morgane Carnet : « On considère (les groupes émergents) comme des jeunes groupes, d’un côté, c’est logique. Après, la créativité chez les groupes émergents peut être plus riche et intense que chez nos aîné.e.s, il y a plus d’innovations ». Jolie chose, la nouveauté qui arrive sans citer gare. Fidel Fourneyron éclaire : « J’ai quelques souvenirs d’avoir eu le sentiment d’être là parce qu’on était ‘le groupe low cost’ pour remplir une case et sans une vraie envie du programmateur, de ne pas être au bon endroit au bon moment pour que la musique soit reçue dans de bonnes conditions, mais ils sont vraiment rares et anecdotiques. La plupart du temps, il y avait une vrai envie de faire découvrir des musiques moins ’repérées’ dans de très bonnes conditions, et ça marchait très bien ! ».

Quelques ratées, des ajustements, mais encore ? Quels seraient les manques à combler en programmation ? Quelles aides complémentaires pourrait-on inventer du côté des institutions et des dispositifs ? On passe sur le revers de la médaille. Souplesse, lucidité, technique. Joachim Florent : « Je suis loin de connaître tous les dispositifs mis en place pour soutenir la jeune création, néanmoins, il me semble que ceux-ci forment des cadres un peu trop imperméables. On voit pas mal de propositions s’appuyant sur le concept de professionnalisation, genre résidence sur le plateau, création lumière, réaliser une maquette ou carrément des stages de réseaux sociaux et autre ‘Comment faire le buzz’. À mon sens, l’artiste, qu’il soit en devenir, en construction ou installé dans sa pratique, a en premier lieu la nécessité de présenter son travail au monde. Pour des jeunes musicien. ne.s, le plus important est de pouvoir jouer, si possible dans des conditions décentes, tous les autres aspects ne sont que des corollaires. » Pause. Remise en jeu, balles neuves. Leila Martial prolonge le propos de Joachim Florent : « Il faut des lieux de jeu. Plus de lieux et d’occasions de jouer, de se produire. Dans les festivals : des off, des out, des side, pas que du IN. Il faut permettre aux bars de programmer et faciliter cela par des dispositifs financiers. Les artistes ont besoin de lieux pour travailler en immersion et sur des temps longs. On pourrait mettre à dispo des musicien. ne.s des lieux et des défraiements repas en échange d’un atelier de sensibilisation sur quelques heures, par exemple. Il faut pratiquer les échanges. Tout devrait pouvoir se partager et se transmettre. C’est un aller-retour entre le laboratoire interne et le don. On a construit une forteresse où l’artiste se sent tantôt unique et sacré.e, et tantôt délaissé.e et inexistant.e. Il faut aussi remettre de la légèreté et du jeu dans l’art, c’est avant tout du partage ! Les lieux doivent transpirer cet état d’esprit ». Jeu set et match ? Pas certain.

Morgane Carnet apporte une nuance au constat précédent : « Bien entendu, on peut tout améliorer mais j’ai le sentiment qu’on est quand même pas trop mal loti.e.s en France. Après, la difficulté se situe au niveau de l’ouverture musicale, de la prise de risque d’une programmation expérimentale, si on sort trop de la mouvance, ça n’est pas facile de rentrer dans le réseau. Il faudrait élargir ce réseau, mais j’ai l’impression qu’il s’ouvre un peu actuellement, c’est cool. » On ouvrait cet article avec l’idée que l’émergence, pour un.e musicien.ne, était avant tout un processus, une longue et parfois lente ouverture. Dont acte. Fidel Fourneyron poursuit avec ce souvenir : « Le dispositif évolue avec le temps, j’y ai participé en 2016, il avait déjà bien changé depuis ses débuts. Il continue à mûrir ». Certaines nouveautés vont dans le bon sens comme « le travail d’accompagnement, les journées de formations (comme celles sur le disque, la com’ et les aides par exemple), l’organisation de rencontre avec les professionnel.le.s du secteur ou encore la mise en place de résidences de création rémunérées ».

faire le métier

Pourrait-on aller plus loin pour favoriser la mise en relation entre musicien.ne.s, et des artistes avec le métier ? Peut-être y a-t-il une chose difficile à mettre en équation de la part des dispositifs mais présente pourtant dès leur mise en place, la solidarité. Comme agit- elle aujourd’hui ? Joachim Florent rattache un dispositif comme Jazz Migration à la problématique « de l’attention d’une génération envers une autre. Comme les ensembles doivent être soutenus par un diffuseur membre de l’AJC, ceux-ci sont poussés à tendre l’oreille, notamment vers les jeunes musiciens issus de leurs territoires afin de les présenter au vote. Ensuite vient la soirée Jazz Migration de présentation des groupes qui, si elle n’échappe pas complètement à une logique de tremplin, a la grande qualité de faire entendre quatre formations de la jeune génération à de nombreux programmateurs. Il est notable que cette initiative s’appuie sur l’engagement de chaque diffuseur à programmer au moins un des groupes chaque année, et beaucoup sont ceux qui en programment plusieurs ».

Pour Delphine Deau, l’urgence de cette réussite, ici soulignée, est pourtant fragile. « L’enjeu du futur au vu de la crise sanitaire et la décision de la cour européenne sur les droits non répartissables des OGC sera surtout de pouvoir conserver ses dispositifs de grande qualité. L’enjeu à mon sens est un accès sans doute plus vaste à cette musique pour le public. Il y a un vivier énorme de création et de musicien.ne.s en France de grande qualité et le statut d’intermittent qui permet en tout premier lieu d’entretenir tout ça. Il faut donc que le public ait autre chose à entendre que le jazz mainstream. Cela devrait se passer dès l’école, via les actions culturelles. Cela correspond en partie à la ligne politique culturelle déjà en place, mais il faut creuser, et approfondir sur la durée car on est loin du compte. Cette musique, il faut aller la chercher. » Retour à cette nécessité du jeu, « cette musique dite vivante doit être jouée et entendue en live. Même à l’heure actuelle, on doit fouiller pour découvrir des artistes intéressants et encore fouiller pour chercher leurs dates, c’est assez incroyable, même au sein de notre propre réseau, il faut être extrêmement actif quand on est spectateur.rice pour ne pas manquer des concerts ».

Morgane Carnet ouvre un peu plus les débats et suggère une autre idée pour que faire le métier ne s’enferme en vase clos. Pour la saxophoniste, il faudrait « que la France s’ouvre plus aussi au reste de l’Europe. Il y a clairement un gros réseau de musicien. ne.s de jazz hors France qui échangent beaucoup entre eux (Belgique, Pays- Bas, Pays Scandinaves..) mais on a du mal à accéder à ce réseau car on ne les fait pas assez venir ici aussi je pense. Mais ce n’est pas simple, il y a déjà tellement de musicien.ne.s en France ». Cette idée est relayée par Fidel Fourneyron : « C’est vrai que l’accès aux dispositifs d’aide à l’export est difficile quand on ne bénéficie pas d’une notoriété établie… Mais les initiatives comme French Nordic Jazz Transit, The Bridge ou Una Striscia di Terra Feconda sont salutaires. Peut- être qu’un label dédié aux lauréats de Jazz Migration pourrait être un bel outil ? » L’international.e est chanté.e, à son tour, par Joachim Florent : « Il apparaît essentiel de s’appuyer sur les forces vives implantées localement. J’aimerais ici souligner le remarquable travail effectué depuis des années par Charles Gil en Finlande, qui est très proche des musicien.ne.s et suit de près le travail des jeunes générations (cf. page 48) ».

la mif

Sorti.e d’une coquille, lancé.e sur les autoroutes de l’international et au- delà. Puis c’est le Retour. En musique on parle aisément de feedback. Quel souvenir garder de cette expérience ? Joachim Florent rejoint Jazz Migration à plusieurs reprises et a donc pu « bénéficier d’une belle écoute et d’un intérêt renouvelé de la part des membres du réseau AJC. Cette expérience a été vectrice de rencontres, notamment dans les clubs et festivals avec les musicien.ne.s avec qui nous avons partagé l’affiche mais aussi avec nos collègues des groupes ‘élus’ Jazz Mig ». Propos qui résonne dans les souvenirs de Leila Martial : « J’ai adoré pouvoir jouer, éprouver mon projet sur scène. Mettre les mains dans le cambouis. Être soutenue. Par Jazz Migration, par exemple qui est aussi un réseau, encore une fois, affilié à une esthétique alternative. Je me reconnais dans cette famille-là ».

Dans la famille Jazz Mig, passez- moi la fille, une des petites dernières mais pas la moindre comme dit un proverbe chez les britons. Delphine Deau, pour le Nefertiti Quartet : « Ce n’est pas encore un souvenir pour nous, mais jusque-là l’expérience est très positive. Et je dis ça alors que nous avons été frappé.e.s de plein fouet par la crise sanitaire ! Nous nous sommes senti.e.s très largement perdants au début de la crise, d’avoir gagné cet accompagnement en 2020, mais en fin de compte, nous sommes très chanceux d’être suivi dans cette période difficile. Avoir un contact direct avec l’AJC sur toutes les questions de structuration, d’administration, et bénéficier en plus d’un tel coup de projecteur au sein d’un réseau, c’est du bonheur. Le rayonnement du projet s’élargit et le carnet d’adresse aussi. Par extension, cela facilitera probablement mes projets futurs puisque l’étiquette Jazz Migration, associée du coup à celle de l’émergence, va nous coller à la peau encore un peu ». Mieux qu’un sparadrap sur les doigts d’un vieux capitaine de bande dessinée. Sous l’étiquette, une autre découverte s’est imposée à Fidel Fourneyron lors de son passage par Jazz Migration : « C’est le moment où j’ai réalisé qu’il m’était possible de jouer et faire exister la musique que je voulais, en toute liberté, et d’une façon pérenne. J’ai le souvenir d’une grande excitation. Un dispositif comme Jazz Migration est l’occasion d’établir des relations de confiance avec énormément de personnes qui font exister ces musiques, mais aussi de comprendre les tenants et les aboutissants de la création et de la diffusion de sa musique. Ce sont des connaissances qui sont essentielles dans mon travail aujourd’hui. » Un passage d’hier comme terreau pour les récoltes d’aujourd’hui, pas mal. Un passage où il est question d’apprentissage, de temps à prendre, de jeu aussi, beaucoup. Un passage qui continue à irriguer les flux des projets ultérieurs ?

Joachim Florent offre une conclusion lucide. « Voici une question intéressante. Puisqu’on parle d’émergence, on pourrait s’attendre à ce que le dispositif soit pensé sur le long terme avec un accompagnement ultérieur des propositions soutenues mais ce n’est pas vraiment le cas. On bénéficie d’une attention particulière tant qu’on est dans le cadre du dispositif mais ensuite, c’est comme si tout était à refaire, à ceci près que l’on connaît (un peu) les interlocuteurs. Bref on redevient un musicien.ne émergent.e à chaque nouvelle saison. Enfin je ne voudrais pas noircir inutilement le tableau car ce type d’initiative reste très précieuse, et prend encore plus d’importance par ces derniers temps. Mettons-nous à la place des jeunes musicien.ne.s qui sortent aujourd’hui des conservatoires, et qui n’ont ni structure, ni concert, ni chômage partiel, ni intermittence prolongée, ni espoir de pouvoir accéder au statut d’intermittent dans les mois à venir. C’est vraiment raide ! » Raide, mais pas dead. 

Guillaume Malvoisin

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