Quatuor Machaut, Jazz à Luz © Pierre Meyer

On l’a vu. Travaillé par les structures de réseaux, tenu à distance par les musicien.ne.s, le terme “émergence” peut apparaître galvaudé. Et si le fait de tourner hors des salles et des clubs de jazz remettait tout le monde d’accord ?

Il existe une multitude de possibilités pour diffuser de la musique en France, cependant les liens transversaux ne se font que rarement. Or cette transversalité peut favoriser la réception d’un groupe en création, sans s’embarrasser de coups de projos ni d’une visibilité à imposer. On fait le point avec Léo Dumont, musicien de Chromb! et membre du collectif/label Dur et Doux, pour répondre sur le vif à nos questions.

Vous êtes lauréats Jazz Migration en 2016 puis vous partez jouer dans pas mal de lieux qui ont une programmation non exclusivement jazz. Cela vous a-t-il influencé en concert ?

Il se trouve que c’est beaucoup plus prononcé que ça ! Nous avons surtout joué dans des lieux avec une programmation non exclusivement jazz, voire même pas du tout jazz. Nous-même, nous n’avons pas du tout l’impression d’en jouer et je crois d’ailleurs que nous n’en jouons pas ! L’esthétique de programmation d’un festival ou d’une salle de concert ne va pas influencer notre manière de jouer. Le seul paramètre que nous nous autorisons à toucher en fonction de l’énergie et de l’humeur du moment est l’ordre de la setlist.

Votre musique est riche en concepts et en idées, avez-vous eu des difficultés à les faire passer à l’étranger ?

Nous cherchons à jouer avec le plus de légèreté possible des concepts qui peuvent paraître des fois complexes et par ailleurs travailler avec le plus grand sérieux des idées complètements débiles. Chromb! a toujours cherché à se faire plaisir, à jouer à la musique comme pourraient le faire des gosses. L’essence du groupe est là et nous ne la modifierons pas. Il se trouve que le plaisir du groupe à jouer cela sur scène a généré de l’intérêt d’organisateurs de concerts et l’intérêt du public.

Est-ce qu’on se poserait pas trop la question du répertoire en France ?

Je suis entouré de musiciens qui viennent du jazz, qui se sont construits musicalement avec cette musique, qui y ont tout appris et la respectent très sincèrement. Mais je pense que ces mêmes musiciens ne se posent pas la question de l’esthétique, de l’étiquette. J’aime vraiment ces musiciens de jazz qui n’en font pas… Ou alors pas volontairement !

Y’avait-il un enjeu particulier dans le fait d’exporter ce projet à l’étranger ?

Un musicien a envie de faire rayonner la musique de son groupe au maximum et l’exportation à l’étranger y participe forcément. Concernant Chromb!, les tournées du groupe à l’étranger précédaient notre soutien par le dispositif Jazz Migration de deux ans. Nous avons aussi la chance de faire partie du label/collectif Dur et Doux qui regroupe pas mal de groupes de musiques tordues et inclassables de la région lyonnaise. Cela faisait déjà quelques années que des groupes du collectif développaient leur activité en Allemagne. Les musiques dites progressives et Rock In Opposition sont plutôt bien représentées là- bas. Après, tu dois donner à voir et entendre la musique avec le même engagement et la même exigence sur scène quel que soit le contexte, que les codes de ta musique soient connus du public ou non. Nous nous sommes confrontés à ce type de situation, il y a quelques années, lors d’une série de concerts à Ouagadougou. L’intensité de nos sets et de notre investissement en scène a scellé le fait qu’il se passait quelque chose de particulier entre nous et le public.

Comment cette tournée allemande a-t-elle pu nourrir vos projets ultérieurs avec Chromb! ?

Nous avons eu la chance de bénéficier de ce soutien alors que le groupe existait et jouait déjà, mais rarement sur le réseau Jazz. Cela a été une vraie chance de pouvoir mettre un pied plus franchement dans ce réseau. Je me pose juste la question de la possibilité, pour un groupe qui inscrit son activité entièrement dans le réseau jazz et pas ailleurs, de pouvoir rebondir et développer son activité après une année de soutien. Certes le groupe a joué, les musiciens se sont montrés individuellement et peuvent espérer des retombées de cette exposition mais pour le ‘groupe émergent’ ? Est-ce que ce groupe arrive à jouer les deux-trois années suivantes dans ce même réseau ? Cela peut s’avérer difficile. Une fois de plus, le fait de pouvoir jouer dans des contextes, des salles et des réseaux très différents est une vraie chance. Nous en bénéficions beaucoup.

Comment pourrait-on aller plus loin pour favoriser l’émergence des musicien-ne-s de jazz à l’étranger : programmation, aides des institutions, dispositifs ?

Je pense au bénéfice de la mise en réseau et d’échanges entre salles et festivals à l’échelle européenne comme ce que peut faire le Périscope à Lyon avec un dispositif comme Jazz Connective. Le partage, les conseils et la relation de confiance entre diffuseurs me semblent propices à l’accroissement du rayonnement des découvertes de chacune des salles qui constituent ce réseau. Par ailleurs, cette concertation de salles peut permettre de monter des tournées plutôt que des concerts isolés. Les difficultés pour moi, concernant l’activité d’un groupe en Europe sont à la fois la difficulté d’enchaîner les dates et de privilégier les modes de déplacement doux. Les priorités seraient la mise en relation des salles pour monter des tournées plus facilement et de développer et démocratiser l’accès au rail. Actuellement, tournée veut dire camion. Il me semble qu’il y a là une grosse contradiction entre les convictions de la plupart d’entre nous et les réalités de notre métier. Affaire à suivre !

 

Lucas Le texier & Guillaume Malvoisin

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