En 2020, en pleine pandémie, des institutions allemandes ont décidé de lancer la plus grande enquête jamais réalisée sur les différents programmes européens d’accompagnement aux artistes dédiés au jazz et à la musique contemporaine. Il n’y a pas d’autres moyens aujourd’hui si nous voulons améliorer notre soutien aux jeunes musicien·ne·s que de chercher à comprendre et comparer les dispositifs créés ces dernières années dans chaque pays.
Nous avons mené l’enquête au second semestre 2020 pour le compte de l’Initiative Kölner Jazzhaus e.V. / Stadtgarten Cologne et du ministère de la Culture et des Sciences du Land allemand de Rhénanie-du-Nord-Westphalie à l’occasion de la mise en place du tout nouveau programme de soutien à l’excellence, NICA artist development. L’objectif était de fournir une présentation méthodique des dispositifs à long cours dans le domaine du jazz et de la musique contemporaine dédiés à la promotion des musicien·ne·s, de collecter des données empiriques, de les comparer et d’en tirer des leçons pour concevoir de futurs programmes. L’enquête portait initialement sur 50 projets dans onze pays européens, dont 36 ont finalement été inclus dans les résultats. Des entretiens ont été menés auprès de 80 personnes et représentant·e·s de différentes institutions sur leurs expériences, leurs évaluations et leurs suggestions d’amélioration pour les programmes de soutien aux jeunes créateur·rice·s existants.
types de programme
Les 36 programmes étudiés sont souvent très différents dans leurs structures, leurs méthodes de travail, leurs organisations et sont ancrés dans des contextes nationaux et régionaux distincts. Mais ils tous ont pour objectif commun de soutenir des artistes dans le développement de leurs carrières, de les aider à mieux orienter leur travail musical en travaillant à leurs côtés pendant une partie de leur parcours musical. Ils ont tous été analysés selon des critères préalablement définis qui sont décrits ci-dessous.
création et durée
La plupart des dispositifs de soutien dans le domaine du jazz ont été créés après 2010. Seuls quelques-uns, comme ceux du Luxembourg (depuis les années 1990), ou la High Priority Jazz Promotion en Suisse (2005), peuvent se prévaloir d’une histoire plus longue. La durée des aides financières fournies aux artistes varie également ; parmi les programmes recensés, il semblait évident que la periode de soutient d’un an environ était la généralité. Une durée plus longue n’est prévue que par quelques programmes, comme le Priority Jazz Promotion ou Jazz Migration.
nombre et âge des participant·e·s
Le nombre de participant·e·s est tout aussi variable. Certains dispositifs soutiennent un grand nombre de musicien·ne·s, tandis que d’autres visent délibérément à soutenir moins d’artistes, mais le nombre de participant·e·s dans la grande majorité des programmes (61%) est inférieur à 10. La plupart des programmes étudiés s’adressent à des musicien·ne·s qui ont déjà de grandes compétences artistiques mais qui ne travaillent pas encore avec des producteur·rice·s ou un entourage qui les soutiennent dans leur travail. Par conséquent, l’âge moyen des artistes au moment de leur candidature se situe entre 25 et 35 ans dans la plupart des cas.
quel soutien ?
Pour de nombreux artistes, la question est de savoir si le soutien couvre les frais de vie courante ou uniquement leur activité musicale. Selon les résultats de l’enquête, 12 programmes couvrent les frais de subsistance, 21 ne le font pas. Alors que dans certains programmes, le montant du soutien dépend de la taille du projet (par exemple au Bimhuis), dans d’autres (par exemple, Frauenkulturbüro Nordrhein-Westfalen), il n’existe pas de directives particulières. Le montant du soutien financier peut ainsi varier et prendre différentes formes – bourses, etc.
La deuxième partie de l’enquête nous a permis de déterminer le contenu de chaque programme et les éléments que les participant·e·s ont trouvé utiles. De manière générale, tous les artistes ont eu plaisir à suivre ces programmes et la plupart ont fait état de réussites concrètes ou de développements positifs, comme l’augmentation du nombre de représentations, une coopération plus étroite avec les partenaires musicaux, de nouveaux formats pour les concerts et une meilleure collaboration et connaissance des acteurs du secteur de la musique.
la vie d'artiste
Certains éléments de ces programmes se sont révélés particulièrement bénéfiques ou utiles, surtout en début de carrière professionnelle. La prise en charge par les dispositifs des frais de subsistance est le plus souvent citée, car elle permet de ne pas être limité·e dans son travail artistique par des impératifs financiers et de ne pas être soumis·e à des pressions économiques. La possibilité d’acquérir une expérience pratique par le biais de concerts – qui font partie intégrante de projets tels que Jazz Migration, Nuova Generazione Jazz, etc. – est également considéré comme l’un des principaux avantages de tels projets. Les musicien·ne·s, après tout, souffrent souvent de ne pas avoir d’engagements assurés, alors que cela est d’une importance capitale pour leur développement artistique.
le mentorat et l'accompagnement
Les artistes ont indiqué à plusieurs reprises qu’ils avaient bénéficié d’une formation artistique intensive pendant leurs études, mais n’avaient pas été suffisamment informés des débouchés et des enjeux qu’implique ce choix de carrière, encore plus dans un contexte où le marché de la musique a évolué ces dernières années, ne serait-ce qu’en terme de stratégies de marketing numérique ou dans les différents rôles que les musicien·ne·s doivent aujourd’hui endosser. La variété des tâches auxquelles les artistes sont confrontés exige donc une vision large. C’est pourquoi, les periodes de mentorat et de coaching ont été très appréciés. Le mentorat dans les domaines tels que la gestion des réseaux sociaux, la rédaction de contrats, le self- management, le soutien administratif, letc. a été mentionné comme positif et nécessaire par la plupart.
mise en réseau et contacts professionnels
Les artistes interrogé·e·s ont relevé l’importance de la mise en réseau. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les réseaux internationaux et les séjours à l’étranger, puisqu’ils permettent d’accroître les compétences interculturelles des artistes. Les contacts avec d’autres musicien·ne·s, programmateur·rice·s, journalistes, etc. sont des facteurs déterminants, surtout en période de pandémie. Aujourd’hui, le “réseautage” est une condition essentielle à une carrière internationale.
Pour beaucoup, il est important que de tels programmes soient conçus en coopération avec des festivals ou des salles. De cette façon, les contacts pourraient être établis et gérés plus simplement. Certains des programmes étudiés, tels que Jazz Migration et le JazzLab belge, fonctionnent dans ce sens avec une sélection de festivals et de lieux, participant ainsi à la création d’une base solide et fiable pour créer un “réseau”. Un autre point abordé est l’importance des réseaux d’ancien·ne·s bénéficiaires dont les échanges avec peuvent être très utiles.
Un des objectifs de notre enquête était de déterminer quels facteurs inhérents aux programmes pouvaient limiter leur efficacité. Les analyses des questionnaires ont montré que malgré les résultats positifs obtenus, il existe toujours des obstacles, en partie structurels, qui entravent le développement artistique ou l’orientation des artistes.
manque de flexibilité des dispositifs et outils disponibles
L’équilibre entre les volets imposés et les volets favorisant la liberté artistique varie d’un programme à l’autre et constitue une carence dans l’équilibre structurel des dispositifs de soutien. Dans certains cas, il existe des éléments fixes à partir desquels les participant·e·s peuvent composer leurs propres modules, tandis que d’autres programmes ont un cahier des charges beaucoup plus flexible. Les structures plus souples sont perçues de manière plus positive car elles auraient une meilleure compréhension des domaines où les artistes ont besoin de soutien et de ceux où ils n’en ont pas besoin.
En outre, d’autres facteurs ont été mentionnés, comme le manque d’équipements de base ou le manque de maquettes et de vidéos pouvant être remises aux programmateur·rice·s comme cartes de visite. En effet, au-delà d’un certain niveau de compétence, il est crucial pour les artistes de disposer de bons outils ou équipements.
besoin d'une connaissance plus approfondie du monde du jazz
Certains artistes ont déclaré avoir eu trop peu de contacts avec d’autres artistes et professionnel·le·s de la scène. Ceci pouvant être démotivant et rendre difficile la création de réseau. Le paysage culturel, et notamment son volet financement, est vaste et peut être perçu comme déroutant, même par des artistes expérimentés. Les musicien·ne·s reçoivent une formation artistique dans les conservatoires ; toutefois, ils ont besoin de compétences et de connaissances supplémentaires. Et là encore, il apparaît clairement qu’un·e musicien·ne très bien formé·e necessite une vue d’ensemble de toutes les sources de financement possibles. Autre besoin très souvent évoqué : l’importance de maitriser le montage de dossiers de demande de subventions. La complexité des demandes varie considérablement d’un pays à l’autre et peuvent être des obstacles importants pour de nombreux artistes.
une gestion de carrière compliquée
Concilier vie de famille et carrière est une problématique majeure dans le secteur de la musique. Les voyages, les répétitions et les concerts ne peuvent pas toujours être planifiés, tout comme la vie de famille qui comporte son lot d’imprévus. Les artistes doivent alors trouver des solutions adaptées. Il pourrait alors être judicieux d’accorder une attention particulière à la situation des musiciennes lors de la conception des programmes.
Autres difficulté mentionnée : la multiplication des programmes de soutien qui ont augmenté de manière significative ces dernières années. Certaines de ses offres présentent de grandes similitudes, ce qui peut conduire à une duplication et une standardisation des soutiens, créant ainsi un questionnement global sur les opportunités de carrière pour de nombreux·ses artistes, avec le risque de conserver à jamais l’image de “jeune artiste”.
Il est possible de dégager des entretiens faits comme des données récoltées au cours de cette étude des élements de recommandations pour créer un “programme de soutien idéal” :
Anke Steinbeck, Judith Kobus, Ralf Hell
Au nom de:
NICA artist développement Initiative
L’enquête complète est disponible ici : https://bit.ly/3S4jcej